
En quelques années, Shein est passée du statut de marque bon marché à celui de symbole global de la puissance numérique chinoise. L’affaire des poupées sexuelles retirées de sa plateforme en novembre 2025 en dit moins sur la faute elle-même que sur la façon dont elle a été interprétée.
Une plateforme devenue symbole géopolitique
Shein n’est plus simplement une marque de vêtements à bas prix. L’entreprise incarne aujourd’hui la montée en puissance de la Chine dans les industries créatives, technologiques et numériques. Son modèle, fondé sur l’analyse algorithmique de la demande, la production ultra-rapide et l’exportation directe vers les marchés occidentaux, concurrence frontalement les géants américains du e-commerce.
C’est précisément ce positionnement qui transforme chaque incident en enjeu symbolique mondial. L’affaire des poupées sexuelles, retirées immédiatement après leur signalement par la DGCCRF française, en est une illustration : une faute ponctuelle, devenue en quelques heures une controverse géopolitique.
Le deux poids, deux mesures de l’indignation
Lorsqu’un vendeur tiers a mis en ligne sur Shein des poupées sexuelles à apparence enfantine, la plateforme a retiré les produits en quelques heures, présenté ses excuses et banni toute la catégorie “sex dolls” de son catalogue mondial. Shein a par ailleurs ouvert une enquête interne et coopéré avec les autorités françaises, une réaction rapide et transparente, conforme aux principes du Digital Services Act européen.
Pourtant, la réaction publique et médiatique a été d’une intensité exceptionnelle !
Quelques années plus tôt, Amazon avait connu un scandale similaire, lié à la vente de poupées sexuelles à visage d’enfant. L’affaire avait duré plusieurs semaines avant d’aboutir à un retrait complet et à une procédure judiciaire. Mais à l’époque, le débat avait été circonscrit à une erreur technique, jamais à une critique structurelle du modèle Amazon.
Lorsque la faute vient d’un acteur occidental, elle est perçue comme un dysfonctionnement isolé.
Lorsqu’elle provient d’une entreprise chinoise, elle devient la preuve d’un système défaillant. Cette asymétrie révèle un protectionnisme narratif autant qu’économique : il est politiquement plus commode de dénoncer les défaillances d’un rival que de questionner celles de ses champions.

Une responsabilité structurelle, pas nationale
Le modèle de marketplace rend ce type d’incident techniquement inévitable. Des milliers de vendeurs tiers, opérant depuis différentes juridictions, peuvent exploiter les failles des algorithmes de modération pour publier des produits illégaux ou choquants. Le véritable enjeu n’est pas d’en accuser une nationalité, mais d’évaluer la réactivité et la coopération de la plateforme lorsqu’un incident survient.
Sur ce terrain, Shein a agi plus vite et plus largement qu’Amazon ne l’avait fait à l’époque : retrait immédiat, suppression de la catégorie, audit des vendeurs et engagement public à renforcer les contrôles. Une réaction qui s’inscrit dans la logique du DSA, et qui montre que la conformité peut être universelle, même pour une entreprise née hors du cadre européen.
Quand la régulation devient champ de bataille
L’affaire Shein intervient dans un climat de tensions économiques croissantes entre la Chine et l’Occident. Chaque incident, même isolé, devient un terrain d’affrontement symbolique : transparence contre opacité, valeurs contre efficacité, démocratie contre autoritarisme. Or, la régulation numérique ne peut pas devenir un instrument de rivalité commerciale. Elle doit reposer sur des critères mesurables et équitables : délai de retrait, transparence de la modération, coopération avec les autorités.
Shein, en répondant rapidement et en acceptant le cadre européen, a démontré qu’une entreprise chinoise pouvait intégrer les standards occidentaux sans renoncer à sa compétitivité. C’est précisément ce type de comportement que la régulation internationale devrait encourager au lieu de transformer chaque incident en procès d’intention.
Juger les faits, pas les drapeaux
L’affaire des poupées sexuelles sur Shein ne révèle pas une défaillance culturelle ou morale, mais une faille structurelle commune à toutes les plateformes mondiales. Ce qui devrait compter, ce sont les faits : la rapidité du retrait, la transparence des actions, la coopération avec les autorités. À ce titre, Shein n’a pas failli, elle a agi.
Mais dans l’arène médiatique, l’origine d’une entreprise pèse encore plus lourd que son comportement. Pour que le numérique reste un espace de régulation et non de rivalité, il faut juger les pratiques, pas les passeports.



